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La pollinisation du figuier aux iles Kerkennah

par Georges Valdeyron

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4 Mai 2012

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G. Valleron, 2012. La pollénisation du figuier aux iles Kerkennah. Rastell Toull page C113.

Introduction

     Dans le numéro 6 daté de Décembre 1981 du Petit Pois Déridé, Bulletin de liaison du Groupe de Génétique des Populations, Georges Valdeyron a publié un article de 5 pages consacré à la fécondation du figuier. Georges Valdeyron était professeur honoraire à l'Ecole Supérieure  d'Agronomie.

    Cet article est extrêmement intéressant et précurseur.

L'article

LA POLLINISATION DU FIGUIER AUX ILES KERKENNAH
par G. Valdeyron.

    A une vingtaine de kilomètres au large de Sfax, la première des deux îles Kerkennah accueille le visiteur, à la descente du bac bi-quotidien, par un large panneau de bienvenue offert par une très internationale firme de boissons gazeuses. Le reste de îles garde un aspect plus traditionnel. On a eu la bonne idée de concentrer l'ensemble des possibilités hôtelières dans une zone restreinte ; le site en est, d'ailleurs, fort agréable.

    Sur quelque 16 000 ha de terres ferme, un bon tiers est en sebkha salées. Le reste est occupé par une palmeraie maigre et des vergers où sont cultivés avec soin des figuiers, des oliviers et, accessoirement, quelques autres espèces fruitières, telles qu'amandiers, abricotiers ou grenadiers. Dans ce milieu sec (250 mm de pluviométrie annuelle) et fortement salé, l'orge est à peu près la seule céréale en usage et l'une des rares plantes annuelles exploitable avec quelque régularité. Il s'agirait de formes d'orge exceptionnellement résistantes au sel.

    Les kerkenniens descendent, dit-on, d'une population composée, à l'origine, de djerbiens (réputés pour leur sens commercial) et d'anciennes favorites, ayant cessé de plaire, des beys de Tunis. Le résultat, certain, de ce possible métissage est un groupe ethnique remarquable par ses qualités physiques et intellectuelles. Les îles n'étant que difficilement capables de nourrir plus que leurs 10 ou 12 000 Habitants réguliers -- plutôt prolifiques --, le reste trouve aisément à s'occuper sur le continent, d'où il revient, chaque été, passer de longues vacances dans des  familles dont l'effectif se trouve alors souvent multiplié par cinq.

    Mis à part ce lien avec le reste de la Tunisie, lien dont les incidences économiques ne sont, certes, pas négligeables, les îles vivent de la pèche -- ou, plus exactement, de la récolte du poisson, exporté journellement vers Sfax -- et d'une agriculture qui fournit l'orge, l'huile d'olive et les figues, bases de l'alimentation familiale. Cette agriculture est pratiquée par les femmes. Ayant demandé les raisons de la valeur économique d'une variété de figues, je me suis entendu répondre que seule sa valeur gustative était considérée et qu'il serait malséant de vendre un produit de la culture -- un peu comme si, ayant été invité à diner, j'avais demandé à mon hôtesse, à la fin du repas, de m'apporter l'addition. Lors de la récolte, un panier plein de fruits est placé sur la voie la plus proche du verger : le passant est tenu de manifester sa politesse en en prenant quelques uns.

    Les figues sont, pour moitié, mangées fraîches par la famille complétée à son effectif maximum -- atteint à peu près au moment de la maturité. Le reste est séché sur un lit d'herbes, lavé à l'eau de mer et conservé dans l'huile d'olive pour l'hiver. La culture est pratiquée à écartements constants, avec un soin particulier apporté à économiser le peu d'eau disponible par une destruction totale des mauvaises herbes. Parmi les techniques utilisées, la plus remarquable m'a paru concerner la pollinisation du figuier. Son caractère très particulier demande quelques mots d'explication.

    Le figuier (Ficus carica L.) est spontané dans la région située en bordure Nord de la Méditerranée; plus au Sud, la reproduction sexuée de l'espèce doit être assurée par une intervention de l'homme. On sait qu'en Grèce, en Sicile, en Asie Mineure, en Afrique du Nord et même au Sud de la péninsule ibérique, une fructification normale des génotypes non parthénocarpiques exige la caprification : des caprifigues de printemps (profichi des Italiens, dokkar des horticulteurs d'Afrique du Nord), produites par les figuiers mâles ou caprifiguiers, doivent, au moment où s'en échappent les hyménoptères symbiotes, les blastophages (Blastophaga psenes L.), porteurs de pollen, être suspendues dans les figuiers femelles ou figuiers domestiques, producteurs de figues comestibles (Condit,1947). L'opération a lieu, à la latitude de la Tunisie du Nord, au mois de Juin, quand les caprifigues sont mûres et quand les fleurs femelles des figues comestibles sont réceptives.

    Il est possible que le déterminisme écologique de cette régionalisation soit assez simple. Galil (1977) a montré que le blastophage est très sensible à l'humidité, son abdomen variant sensiblement de dimensions suivant l'hygrométrie du milieu. On est donc en droit de supposer que la survie de l'insecte à l'extérieur de la caprifigue peut varier dans une très large mesure suivant les conditions climatiques : la sécheresse estivale, dans les régions à caprification obligatoire, permettrait une survie de quelques minutes seulement et des déplacements limités à ceux qui peuvent s'effectuer à l'intérieur d'un arbre ; dans les climats moins secs, les distances franchies peuvent certainement être de l'ordre du kilomètre, voire de quelques dizaines de kilomètres et on a des raisons de penser que la longévité peut dépasser la journée, peut-être la semaine ou même plus.

    Un argument en faveur de cette manière de voir m'avait été fourni autrefois par des arboriculteurs d'Hammamet, région voisine d'un golfe de la côte tunisienne situé à la base du Cap Bon, réputé pour son climat paradisiaque. Dans ce milieu très tempéré, la caprification n'est pas nécessaire : la présence d'un caprifiguier dans le verger suffit à assurer la pollinisation régulière des figuiers domestiques, à des distances pouvant probablement aller jusqu'à une centaine de mètres. La caprification est pratiquée dans toutes les autres régions du pays et oblige souvent à se procurer des caprifigues en dehors de l'exploitation : des marchands de fruits achètent des récoltes de caprifiguiers sur pieds, le moment venu, et les vendent sur les marchés, à des prix analogues à ceux des figues comestibles. Il y aurait même, dans la région sfaxienne, des agriculteurs entièrement spécialisés dans la production de dokkar.

    La maturation des dokkar suppose qu'ils sont, lorsque leurs fleurs sont réceptives (soit en Avril, dans le Nord de la Tunisie) visités par des blastophages, qui pondent leurs oeufs au voisinage des ovules. Ces blastophages viennent, eux-mêmes, des figues d'hiver ou mamme des Italiens, visitées à la fin de l'été ; ils ont donc passé l'hiver à l'état de larves dans ces figues, peu nombreuses et qui mûrissent généralement au moment de la réceptivité des dokkar. Lorsque le sirocco, fréquent en Mars ou Avril, a provoqué la maturation rapide des mamme, la sortie des blastophages peut avoir lieu deux ou trois semaines trop tôt et, comme les insectes ne survivent probablement pas plus de quelques heures, les  dokkar, qui n'ont pas encore atteint le stade de la réceptivité, ne sont pas visités et tombent. C'est un accident qui n'est observé que rarement et il ne semble pas être pris en compte par les producteurs du continent, qui ne s'intéressent pas à la présence des mamme, présence qui est, cependant, une condition absolue de la fermeture du cycle du blastophage, donc de la symbiose (Valdeyron and Lloyd, 1979).

    Les agriculteurs des Kerkennah, au contraire, attachent une importance primordiale à ces figues d'hiver, qu'ils désignent par un nom distinct (baroum), voire par plusieurs noms voisins, variant suivant la précocité. Au moment de leur maturité, c'est-à-dire, sous cette latitude basse, vers le 15 Mars, ces figues sont récoltées et réparties avec soin dans le caprifiguier qui les a produites (s'il n'en a pas produit, il est nécessaire de s'en procurer -- chez un voisin, par exemple), suspendues par des liens d'herbes. Faute de cette opération, les dokkar ne sont pas régulièrement visités et une partie d'entre eux tombe: j'ai observé moi-même cette chute partielle sur un caprifiguier non garni de baroum.

    Notons que le mystère de la fermeture du cycle du blastophage en été ne se trouve pas éclairci par cette observation. Pas plus aux Kerkennah qu'ailleurs on ne trouve régulièrement des figues réceptives sur les caprifiguiers au moment de la maturité des profichi. L'existence de telles figues nous a cependant été signalée par un agriculteur mais formellement niée par les autres. Pour ces derniers, les "nemous" (moustiques) naissent des baroum par un processus qui ne les inquiète pas plus qu'il n'a inquiété l'ensemble des biologistes jusqu'à une époque très récente...

    La récapitulation de ce qui se passe le long de notre fuseau horaire n'en est pas moins intéressante : la pollinisation s'effectue naturellement au Nord de la Méditerranée; la caprification des figuiers domestiques par les dokkar est nécessaire en Afrique du Nord ; la caprification des caprifiguiers par les baroum est obligatoirement pratiquée dans les climats les plus chauds et les plus secs de la zone de culture. Ces observation sont en accord avec l'hypothèse d'une sensibilité particulière du blastophage à la chaleur et à la sécheresse printannières, facteurs limitants de l'expansion géographique du figuier spontané vers le Sud. Il est temps, désormais, de passer à des vérifications de laboratoire...

BIBLIOGRAPHIE

Condit, I.J. 1947. The fig. Chronica Botanica. Waltham, Mass..
Galil, J. and G. Neeman. 1977. Pollen transfer and pollination in the common fig (Ficus carica L). New Phytol. 79:163-171.
Valdeyron, G. and D.G. Lloyd. 1979. Sex différences and flowering phenology in the common fig, Ficus carica L. Evolution. 33:673-685.
   

Commentaires

Commentaires, par Jacques-Deric Rouault

    C'est en scannant les anciens numéros du Petit Pois Déridé que j'avais dans mes archives que je suis tombé par hasard sur ces 5 pages écrites par Georges Valdeyron sur la fécondation du figuier.

 
En Tunisie, une sebkha est une dépression qui reçoit les eaux du bassin versant et se concentre en sel. Elle peut se trouver à sec à la saison chaude.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Sebkha

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La pollinisation des figuiers aux iles Kerkennah
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