RastellToull_C216

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	B20 Bretagne		C216 Othello

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Rastell Toull - Bretagne - Othello - Page C216
Copyright Jacques-Deric Rouault 2018. ISBN 978-2-907103-09-1
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Le contexte

    Le 10 Février 2018, la réunion mensuelle du Club de Généalogie d'Orsay (CGO), s'est poursuivie par le repas de mi-saison, dégusté sur place. A cette occasion, j'ai proposé une dégustation-devinette au dessert. Il s'agissait d'une gelée bien noire dont il fallait découvir la composition ...

    Il faute dire que l'une des grandes spécificités de ce Club (mais pas la seule) réside dans la recherche de devinettes les plus alambiquées possible ... Il peut s'agir d'images (caricatures, photos), de personnages (pas toujours) célèbres, ... Par exemple, derrière la phrase Il trouve l'art de fixer les saisons, il fallait découvrir Nicolas Appert ...

    Le paradoxe est que ces devinettes finissent par être résolues par des membres du club sans qu'il soit utile de dévoiler tous les indices ... La recherche d'énigmes étant une pratique récurrente au CGO, aussi ai-je été tenté d'en proposer une nouvelle variante : la devinette gustative.

La question et la réponse

    Sur chaque table, chacun(e) a eu droit à une assiette avec une confiture (plus exactement une gelée) dont il fallait deviner la composition ...
Et je reconnais que cela n'était évident ... Sinon pourquoi l'aurai-je posée ? ...

    Et puis, quand on observe à quelle vitesse les devinettes mensuelles de Claude et Jean-Louis sont décryptées ! Et pourtant, elles ne brillent pas par leur simplicité et leur évidence !!! ... je crains que d'ici quelque temps, le CGO ne se retrouve recruté d'office par les services du contre-espionnage pour décrypter les messages codés !

    Première indice, ce n'était pas un mélange et il n'y avait qu'un seul fruit ! Ce qui a laissé plus d'un encore plus perplexe ! Bien sur, tous les fruits rouges (mûre, sureau, cerise, prune, ... ), et même les moins rouges comme la groseille à maquereaux y sont passés ...

    Second indice, c'est un fruit que vous connaissez, et non pas un fruit exotique inconnu ! Et puis certain(e)s ont craint que la réponse à trouver ne soit un nom latin inutilement compliqué ! (C'est bien vrai, on ne prête qu'aux riches ! et pan sur le bec ! comme on l'écrit sur le Canard)

    Et c'est Marie-Claude Rxxx qui a proposé la bonne réponse : le raisin. Elle m'a dit que c'est la texture plus que la couleur ou le goût qui lui a suggéré la bonne réponse. En fait, Marie-Claude a un peu reconnu ses essais de confiture de raisin.

    Nous l'avons l'habitude de consommer le raisin sous différentes formes : en fruit (raisin de table), en jus, fermenté (vin, vinaigre), distillé (cognac, pineau, ...), et même en feuille (dolma ou feuille de vigne farcie au riz, recette orientale). Et pourquoi pas en confiture ? Si elle ne se retrouve pas dans le commerce, la confiture ou la gelée de raisin est décrite dans de très nombreux livres de recettes consacrés aux confitures.

    Maintenant, je reconnais que le raisin qui m'a servi à faire cette gelée est un peu particulier, aussi je vais reprendre rapidement ici la grande histoire de la vigne.

La vigne et la crise du phylloxera

On considère aujourd'hui que la vigne sauvage est originaire du Causase, plus précisément de Géorgie. Dans l'antiquité, sa culture s'est propagée le long des rives la Méditerranée par les Grecs puis les Romains, et ces derniers l'ont implantée il y a bientot 2000 ans en France et jusque aux rives du Rhin. Par les techniques traditionnelles de sélection et de croisement, les viticulteurs ont depuis les temps les plus anciens créé de nombreux cépages (ou variétés ou cultivars : Cabernet, Chardonnay, Gamay, Merlot, Muscat, Pinot, Sauvignon, ...), on en dénombre aujourd'hui plus de 6 000 dont 200 sont cultivés en France ! Et la collection de l'INRA du Domaine de Vassal à Marseillan (F34) en héberge 2 300 !

Il existe également une soixantaine d'autres espèces proches de la vigne méditerranéenne en Asie Orientale et en Amérique du nord et centrale, dont certaines peuvent permettre de produire un vin relativement différent. Vers 1850, des vignerons de la vallée du Rhône ont importé des espèces américaines pour faire des essais. Et cela a été la catastrophe, car dissimulé dans les pieds américains est arrivé un parasite, le phylloxera, un minuscule puceron qui pompe la sève des plants de vigne. Et ce puceron est très rapidement passé des espèces américaines importées à l'espèce méditeranéenne locale en s'attaquant discrètement aux racines, jusqu'à la mort du pied. Cette invasion s'est propagée à toute la France, si bien qu'en 1870, le vignoble français s'est retrouvé ravagé dans sa totalité : cela a été la crise du phylloxera. Observant que les espèces américaines résistaient naturellement à ce parasite, 5 espèces américaines ont été sélectionnées pour servir de porte-greffe, et il a fallu 30 ans pour regenérer le vignoble français avec cette technique. Cependant, même s'il ne se voit plus, le phylloxera est toujours présent, et les essais récents de culture de vigne avec des pieds non greffés finissent très mal, sauf rares exceptions.

Les hybrides américains

    Une alternative au greffage des cépages méditerranéens sur des portes-greffes américains a consisté à réaliser par croisement (fécondation croisée des fleurs entre la vigne méditerranéenne et des espèces américaines) des variétés hybrides en sélectionnant ensuite celles qui résistent au phylloxera et n'auraient donc plus besoin d'être greffées. Ces cépages, s'ils résistent bien aux parasites (insectes, champignons) sont d'un coté plus productifs, mais d'un autre coté très loin d'être les meilleurs, certains vins se caractérisant par un goût foxé (renardé en français, suivez mon regard en direction de l'urine du dit animal ...)

    En 1935, il y a eu une crise de surproduction viticole (et ce ne sera pas la dernière). Le ministère de l'agriculture interdit alors de vinification 6 cépages hybrides américains : jacquez, noah, herbemont, clinton, isabelle et othello. Ces cépages qui produisaient à bas coût un vin médiocre étaient principalement cultivés par des petits paysans dans des régions difficiles. Cette mesure ne pouvait pas gener la bourgeoisie qui consommait des grands crus, et au contraire cela ne pouvait que réduire l'autoconsommation et accroitre les ventes de vin. Cette interdiction pouvait également avoir un arrière goût politique dans la mesure où Edouard Daladier, qui venait de lancer avec le succès que l'on sait le thème des deux cents familles (les plus riches de France), et se trouvait également député radical du Vaucluse. Or le jacquez était très cultivé dans le département : à ce moment, le gouvernement de droite n'avait pas encore été renversé par le front populaire ... On accuse alors ces cépages de produire par fermentation non seulement de l'étanol, mais également du méthanol, alcool toxique qui, consommé en grande quantité, peut rendre aveugle et détruire le système nerveux avant de provoquer la mort. Il y a bien eu des vins avec du méthanol, dont des vins issus de vignes américaines, mais cela provenait de fraudes intentionnelles et non de la nature du cépage. Et quand on veut tuer son chien ... (air connu) !

    Aujourd'hui, certaines voix s'élèvent pour réclamer le rétablissement de l'autorisation de vinifier ces six variétés interdites. Leur arguments reposent sur leur résistance naturelle vis à vis des insectes et des champignons, ce qui présenterait des avantages indéniables : un gain économique important (réduire les entrants : insecticides et autres couteux pesticides), un gain écologique (quand on sait comment les vignes sont aujourd'hui traitées ..), des capacités évidentes de production de vins bio. Ce rétablissement pourrait directement profiter à de nouveaux croisements issus de ces cépages maudits.

Mon pied d'Othello

    Depuis de nombreuses années, je me trouve l'heureux propriétaire d'une (petite) fermette de deux (grandes) pièces sise dans le pays de Retz, dans la Bretagne du sud de la Loire, entre Nantes (pour la ville), Pornic (pour la mer) et le Lac de Grand Lieu (pour la nature). Devant l'ancienne écurie aujourd'hui transformée en garage, un pied de vigne, qui grimpe le long des murs et sur le toit, et qui était déjà là bien avant moi. Et à l'automne, de magnifiques grappes de raisin noir ... abandonnées chaque année aux merles et aux étourneaux ! Quel dommage ... Maintenant que je suis en retraite et que je dispose de bien plus de temps libre (ça, c'est la théorie), je vais sur place en Septembre vendanger mon unique pied de vigne. Mais pour en faire quoi ? Il y a quelques années, nous avons essayé d'en faire de la gelée, et le résultat nous a plu. Alors, tous les ans à la mi-septembre je vais sur place faire mon stock pour l'année. En 2016, c'était 16 kg de jus, et en 2017 c'était les 26 kg ...

    C'est un vieux voisin, qui connait bien les cultures locales, qui m'a dit que cela pourrait bien être un pied d'Othello. Alors je me suis documenté sur le sujet (et avant Internet, on faisait comment ?). Effectivement, cela correspond parfaitement. Des gros raisins noirs, une peau noire bien épaisse, une pulpe noire, un jus noir, ce raisin bien nommé partage sa noirceur avec celle du Maure de Venise (clin d'oeil à Shakespeare et à Verdi). Un raisin d'une douceur exquise et très riche en arômes, notamment de framboise (Dire le vin)

    Le cépage Othello a été obtenu en 1859 par Charles Arnold de Paris en Ontario (Canada) en croisant du Clinton (hybride naturel américain) avec du Frankenthal (raisin de table cultivé sous serre en Europe centrale, le Muscat de Hambourg en serait issu par croisement). De belles grappes bien serrées avec de beaux gros grains noirs. Une saveur très foxée (pour certains) et framboisée. C'est un gros producteur qui ne craint ni le phylloxera ni les champignons, donc pas besoin de traiter, ce qui me convient parfaitement. Voici quelques photos prises le 19 Septembre 2017, juste avant la dernière vendange.

La recette de gelée de raisin

    Si la vinification de l'Othello est toujours interdite, rien ne nous empêche d'en faire de la gelée ... C'est très simple, je suis la même recette que pour les groseilles. Pour ceux et celles qui voudraient se lancer !

    Tout d'abord, on commence par attendre l'automne et que les grappes soient parfaitement mûres. On vendange, on détache les grains des raffles et on les rince pour éliminer les nombreux locataires indésirables (insectes) et les grains avortés. Ensuite, dans une grande poelle on fait creuver les grains qui finissent par prendre une couleur brune (lie de vin) et le tout est passé à la moulinette/passoire à main (tamis très fin) pour séparer le jus (qu'on garde) des peaux et autres pépins (qu'on jette loin de la maison : c'est un magnifique terrain d'élevage à moucherons). Le jus est placé au frais. Fin de la première partie.

    Dans la seconde partie, on prépare la gelée en ajoutant du sucre en poudre (en poids, autant de sucre que de jus). Je triche en prenant du sucre pour confiture avec pectine ajoutée ... c'est plus cher mais c'est plus sûr. Une grande cocotte en inox qui va recevoir 2 kg de jus puis deux sachets soit 2 kg de sucre (et pas davantage ! il faudra donc répéter plusieurs fois l'opération). On mélange bien, on chauffe à feu modéré, on remélange régulièrement puis on ralentit à ébullition. On laisse bouillir gentillement environ 5 minutes, on enlève l'écume (pour agrémenter les tartines du petit déjeuner du lendemain matin). Reste à verser dans les pots sans se brûler, à les fermer (avec le bon couvercle) et à les retourner (attention aux fuites !). La gelée va se refroidir, se figer et faire un vide partiel dans le bocal, garantie de bonne conservation pour les mois et années à venir. Fin de la seconde partie.

    La troisième partie peut se jouer le lendemain, la semaine suivante, le mois suivant ou l'année suivante, sinon plus tard. Elle peut se faire seul, en famille, avec des amis ... Nous l'appellerons la dégustation. Et puis, quand je rends visite à des parents ou à des amis, un petit pot de confiture maison en cadeau n'est jamais refusé ...

Pour ceux qui en veulent encore plus !

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